Enseignant-chercheur à l’Université de Sfax en Tunisie, le Dr Mohamed Souissi mène des projets de recherche en partenariat avec l’Université Lyon II, en France. Centrées sur les enjeux du tourisme, ces recherches ont donné lieu à des publications et à l’organisation de colloques. Rencontré en marge du Colloque international sur le tourisme et le patrimoine urbain dans la région méditerranéenne organisé, les 11 et 12 novembre, à l’université Mentouri de Constantine, il nous a livré son point de vue sur l’importance de la médina comme patrimoine inestimable et sur la démarche patrimoniale mise en œuvre pour intégrer la médina de Tunis au circuit touristique. Il revient ici sur le processus par lequel cette intégration a été réalisée en Tunisie avec l’appui des acteurs locaux.
- Quelles initiatives ont été prises pour faire de la médina de Tunis une destination touristique d’exception ?
La situation de la médina de Tunis est vraiment l’exception, nous ne sommes pas à Marrakech, au Maroc. La démarche adoptée ici est spécifique, car elle repose avant tout sur l’implication des acteurs locaux, notamment des associations, qui ont joué un rôle fondamental. Un autre aspect crucial est l’approche sociale adoptée dès le début : l’ouverture de la médina au tourisme n’a pas été, au départ, une démarche à visée économique ou touris tique, mais bien une initiative sociale
La priorité était de maintenir la population sur place pour éviter un exode hors de la médina. Les associations ont, à cet égard, occupé une place centrale. Dès les années 1970, avec le classement de la médina de Tunis au patrimoine mondial de l’Unesco, des projets de logement et de réhabilitation ont été lancés pour encourager les habitants à rester et à entretenir leurs demeures. Ces travaux ont été supervisés par des experts, notamment des architectes, soucieux de préserver le patrimoine.
Par la suite, le secteur privé a commencé à investir, encouragé par ces initiatives. En rénovant l’infrastructure et en revitalisant les quartiers, nous avons observé un retour des familles héritières de la médina, qui reviennent avec des projets de galeries d’art, d’hôtels de charme et de gîtes.
Nous assistons aujourd’hui à une forme de «gentrification» touristique, mais d’un type particulier. Contrairement à Marrakech, où l’on pousse les habitants à partir, ici la population reste et continue à être impliquée dans les événements qui se tiennent dans la médina. Les habitants y participent activement et peuvent accéder gratuitement aux manifestations organisées.
- Faut-il adopter une démarche d’une bonne gestion démographique intégrant des dimensions économiques, sociales, culturelles et architecturales pour préserver ce patrimoine avant de le rendre accessible au tourisme ?
Exactement ! L’approche initiale a été avant tout sociale. Par la suite, cette approche a évolué pour attirer les investissements privés, avant que le tourisme ne s’impose progressivement. Contrairement à Marrakech, notre démarche n’a jamais consisté à encourager la vente de l’immobilier au détriment des habitants locaux pour faire venir les étrangers.
En Tunisie, donc, la priorité a été donnée au citoyen, à l’aspect culturel et à la préservation des infrastructures...
En effet ! Les habitants ont été encouragés à rester dans la médina, et cela contribue grandement à son charme et à sa singularité. Le cachet authentique de la vieille ville est préservé.
- Quel est l’impact de ces initiatives dans la préservation et la valorisation de la médina ?
L’impact a été très important. Sur le plan économique, les activités artisanales et commerciales se sont renouvelées, dynamisant ainsi la médina. Socialement, les populations sont restées et se sont diversifiées. Aujourd’hui, la médina de Tunis n’abrite pas seulement des familles modestes, mais accueille également des habitants plus aisés qui reviennent s’y installer avec des projets de réhabilitation des palais et autres édifices historiques. Cette mixité sociale, rare ailleurs, est particulièrement marquée ici.
La valorisation patrimoniale est aussi un atout majeur, où de nombreux palais ont été restaurés, qu’ils appartiennent à des acteurs publics ou privés, permettant ainsi à des familles de retrouver leurs demeures d’origine et de les réaménager. Enfin, il est notable que la médina attire aujourd’hui des jeunes, qui viennent y passer du temps, fréquenter les cafés traditionnels, et contribuer à l’effervescence de la vie locale. Cette dynamique participe à une reconnaissance à la fois patrimoniale et sociale de la médina de Tunis.